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15/04/2015

"Renseignement" : une loi dangereuse

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... dont "l'anti-terrorisme" n'est pas le seul but :


 

 

L'opposition se garde de critiquer la « loi renseignement », conforme au tropisme sécuritaire qui constituait la seule originalité de la droite. (Originalité dont elle vient d'être privée par la gauche, ce qui accentue encore leur ressemblance*). Cette loi est dangereuse ; elle sera inefficace contre le terrorisme. Mais l'anti-terrorisme est-il son seul mobile ?

La loi Valls-Cazeneuve est dangereuse. C'est une version tardive de la loi Bush du 26 octobre 2001. Votée dans la panique post-11/09, cette loi Bush concrétisait en fait une ambition antérieure : instaurer la Total Information Awareness (surveillance de tous par la Machine). Le concept de cette surveillance n'est pas humain. Il est algorithmique. L'idée est que les « comportements terroristes » ont une « signature » paramétrable : « Si Bill et Ted habitent à la même adresse, louent un camion et achètent de l'engrais à base de nitrate d'ammonium (qui peut servir à faire pousser des patates mais aussi à confectionner une bombe artisanale), alors ils se mettent à présenter un “motif comportemental” suspect, et l'algorithme sonne l'alerte...** » Le problème ici est que les paramètres entrés dans l'algorithme-espion s'appliquent non seulement à d'hypothétiques terroristes, mais à tous les agriculteurs des Etats-Unis !  Espionner les populations selon des paramètres algorithmiques ne mène qu'à un Niagara de fausses pistes et d'erreurs policières.

La loi Valls-Cazeneuve sera inefficace comme le fut la loi Bush. Le terrorisme aujourd'hui est individuel, mobile, furtif,  mutant ; les véritables terroristes s'abstiennent de communications électroniques pour préparer leurs attentats. Ils échappent ainsi au paramétrage algorithmique : celui-ci aboutit (selon la formule du juriste et politologue US Jeffrey Rosen) à « chercher dans une botte de foin une aiguille dont la forme et la couleur ne cessent de changer ». Au bilan de dix ans d'espionnage téléphonique des citoyens, et en ayant ainsi brassé des millions de données, les agences fédérales US n'auront abouti qu'à une seule piste  avoisinant le terrorisme : un habitant de San Diego qui avait envoyé 8500 dollars à un groupe somalien... Ce sera la même chose en France avec la loi Valls-Cazeneuve.

Mais le terrorisme est-il vraiment le premier souci de ces lois ? Non, avoue Michael Hayden, ex-directeur de la NSA : « Nous avons beaucoup d'autres motivations... »  Edward Snowden le constatait : « Ces programmes n'ont jamais été conçus en réaction au terrorisme. Il s'agit d'espionnage économique, de contrôle social et de manipulation diplomatique. C'est une question de pouvoir. »

Les moyens intrusifs (et sans contrôle judiciaire) donnés aux services spéciaux ne sont pas adaptés à l'anti-terrorisme, mais ils frappent de plein fouet les activités politiques non clandestines et la vie privée des citoyens : c'est le véritable objectif du plan de Total Information Awareness.

Et si la classe politique exécute ce plan, c'est que les intérêts économiques l'y poussent... J'explique ça dans le livret développant ma conférence Cathos, écolos, même combats ?, qui va paraître chez Peuple libre (Lyon) : «Les gourous du numérique font pression sur les gouvernements pour qu'ils commercialisent les données profilant leurs administrés... Les services d'Etat auront les moyens de nous pister dans notre vie quotidienne de connectés ; et, ainsi informés, de nous infliger des réglementations calculées par algorithmes. Moins l'Argent laissera à l'Etat de prise sur la vie publique, plus l'Argent obligera l'Etat (et/ou l'aidera) à contrôler la vie privée. »

D'où est venu l'idée du paramétrage algorithmique ? Du data mining des commerciaux : le chalutage électronique aléatoire de clients potentiels. Les politiques n'imaginent pas que leur domaine puisse être différent de celui des commerciaux : ils ont donc adopté ce « modèle de recherche », qui ne correspond pas au problème concerné. Voilà une preuve supplémentaire de l'aliénation du politique au business ; aliénation qui est la cause de la dégénérescence des partis, de l'abstentionnisme des électeurs, et plus généralement de l'inefficacité des gouvernements dans le contexte actuel.

 

_______________ 

* C'est un fait. Le constater n'est pas un parti-pris.

** Grégoire Chamayou (auteur de Théorie du drone, La Fabrique 2013), Libération 15/04.

 

Commentaires

SUPIOT

> Voir d'Alain Supiot "La gouvernance par les nombres", bouquin passionnant.
http://www.fayard.fr/la-gouvernance-par-les-nombres-9782213681092

Écrit par : Geo / | 15/04/2015

FILM

> Cela me rappel un vieux film américain (il y a au moins 20 ans) qui dénonçait déjà la manie de services secrets à agir sur des indicateurs (de façon cavalière). Dans le film, un prof d'université expliquait comment la CIA avait lancé une opération contre une famille américaine au fin fond de la brousse parce qu'une série d'indicateurs avaient "fait clignoter des voyants". L'opération "cavalière" (sans contrôle humain et rationnel) s'était soldé par des morts parmi les agents de la CIA, et des civils (innocents au final).
Il critiquait aussi la réponse des "officiels de l'Etat" concernant les attentats (officiellement il s'agissait toujours d'individus isolés qui étaient tous morts dans l'assaut final). Réponse qui rassurait tous les citoyens (réfléchissez : une autre réponse vous mettrait la trouille). Et finalement le pauvre prof meurt dans un attentat, dont il est accusé (d'être l'auteur), les autorités annoncent glorieusement que le problème est clos, qu'elles ont tout solutionné, alors qu'elles ne contrôlent rien du tout. Mais tous les voyants sont éteints... donc tout va bien !
Dommage, je ne me rappelle plus le titre.
Cdt,
______

Écrit par : bergil / | 15/04/2015

CE QU'ON NE PERÇOIT PAS

> Dans 'Libé', une interview de Valérie Peugeot, qui explique les raisons pour lesquelles la loi sur le renseignement suscite peu d'oppositions dans l'opinion publique :
http://www.liberation.fr/societe/2015/04/13/renseignement-difficile-de-se-revolter-contre-ce-que-l-on-ne-percoit-pas_1240361
Extrait :
"On est entrés dans l’ère de l’invisible. On capte les données de l’individu et on en fait toutes sortes d’usages sans qu’il n’en ait conscience. C’est très dur de se révolter contre ce que l’on ne perçoit pas. Ce n’est pas comme se retrouver au chômage, être expulsé de son appartement ou mis en prison : de fait, il n’y a rien de plus difficile que de se rebeller contre l’invisible. En l’absence de drame «visible» (même si aux Etats-Unis, il y a eu bon nombre d’arrestations arbitraires après le Patriot Act), il est très compliqué de construire une résistance individuelle et collective. A toutes les époques, on a vu des populations accepter petit à petit des choses injustes mais marginales, jusqu’à ce que l’on vienne les arrêter…"
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Écrit par : Feld / | 15/04/2015

@ Bergil

> Dans le renseignement, un SIGNINT ("signal intelligence") hypertrophié est un handicap, quand le HUMINT ("human intelligence", analyse, mais également travail de terrain, infiltration, etc...) fait défaut.
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Écrit par : Feld | 15/04/2015

ON FERME

> Certains en tirent les conséquences:
http://www.economiematin.fr/news-altern-fermeture-hebergeur-loi-renseignement-danger-espionnage-liberte-france
______

Écrit par : Pierre Huet / | 20/04/2015

> Avec Hollande et Valls, l'orwellien "1984" : c'est maintenant !
______

Écrit par : Psychtus / | 20/04/2015

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